Quelles seront les conséquences du sevrage de dividendes imposé par le gouvernement français ?

Le ministre des Finances a exhorté les grandes entreprises à ne pas verser de dividendes cette année

Le weekend dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a une nouvelle fois exhorté les entreprises à réduire d’au moins un tiers les versements de dividendes en 2020, au cours d’une interview qu’il a donnée au Journal du Dimanche. 

Le confinement imposé depuis le développement de l’épidémie liée au coronavirus a en effet provoqué une baisse d’activité des entreprises qui devrait se traduire par une récession. L’exécutif estime donc qu’il ne serait pas convenable que les entreprises maintiennent le paiement des dividendes à leurs actionnaires, alors qu’elles risquent d’avoir besoin de cet argent plus tard pour faire face à cette récession et aider leurs salariés à la traverser. 

L’appel à des versements de dividendes modérés

Le 30 mars dernier, le ministre avait déjà lancé un appel similaire[1] : “J’invite (…) toutes les entreprises qui ont accès aujourd’hui au chômage partiel, c’est-à-dire qui ont leurs salariés payés par l’État, à faire preuve de la plus grande modération en matière de versement de dividendes“. Précédemment, il avait déjà interdit aux entreprises bénéficiant d’un report de charges sociales ou fiscales ou d’un prêt garanti par l’État de verser des dividendes.

M. Le Maire a également rappelé que les grandes entreprises qui bénéficiaient d’une aide de l’État devaient même s’interdire totalement de procéder à ces distributions, sous peine de voir l’annulation de cette aide. “Aucune des grandes entreprises qui font appel à l’État pour leur trésorerie ne devra verser de dividende”, a-t-il rappelé. Et d’ajouter : “L’ensemble des banques françaises va le faire[2].

Certaines entreprises, parmi lesquelles Engie, Dassault Aviation, JCDecaux, Airbus ou encore Auchan Holdings, ont déjà annoncé qu’elles allaient suivre les recommandations du gouvernement[4].

Mais d’autres renâclent à cette possibilité, comme Sanofi ou AXA, qui n’ont pas encore fait part de leur décision. Parfois, elles optent pour une réduction des versements. C’est le choix de Michelin, Bic, Veolia et Hermès, par exemple. 

Que sont les dividendes et quelle est leur influence sur le cours des actions ?

Les dividendes correspondent aux sommes que les entreprises versent aux actionnaires au titre de la prise de risque associée à la détention de leurs actions. En général, ces sommes proviennent des bénéfices nets après impôts de l’année précédente, mais ils peuvent exceptionnellement être prélevés sur des réserves constituées sur les exercices antérieurs en cas de bénéfice net inexistant ou négatif (une entreprise peut également décider de verser des dividendes supérieurs au bénéfice qu’elle a réalisé sur le dernier exercice).

C’est l’Assemblée Générale qui décide du versement de ces dividendes, qui détermine leur montant et la date de leur paiement (ce dernier peut être fractionné). Chaque actionnaire reçoit un montant identique par action, multiplié par le nombre d’actions qu’il détient. Enfin, l’entreprise peut proposer de régler les dividendes sous la forme de nouvelles actions.

Quand le bénéfice n’est pas redistribué en intégralité, son reliquat est reporté en réserves pour être réinvesti dans l’entreprise, ou pour améliorer les dividendes d’une année à venir. Les dividendes ont donc une influence directe sur la rentabilité des actions, même s’ils n’y contribuent que pour partie (l’autre partie étant déterminée par la plus-value ou la moins-value que le détenteur de l’action réalise au moment de la vente de l’action).

Au moment de leur distribution, les investisseurs tiennent compte de cette sortie de trésorerie qui ampute les ressources de l’entreprise. Cela se traduit en principe par une baisse du cours du titre en question.


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Quelles conséquences ?

La promesse de versement de dividendes rend les parts des entreprises concernées plus attractives aux yeux des investisseurs. Certaines entreprises (notamment certaines firmes pétrolières comme Total a déjà confirmé qu’elle maintiendrait ses versements) sont connues pour leur générosité dans ce domaine. Cela a pour effet de soutenir le cours de leurs actions. 

D’un autre côté, le prélèvement opéré pour rétribuer les actionnaires pèse sur la trésorerie de l’entreprise. Il peut réduire sa capacité à financer des investissements nécessaires à son exploitation.

Cette année, avant la crise du Covid-19, on s’attendait au versement de dividendes records, en raison d’une année 2019 exceptionnellement faste pour les entreprises. Le 24 mars, le site Boursorama[4] écrivait que les multinationales françaises du CAC 40 se préparaient à verser la bagatelle 60 milliards d’euros à leurs actionnaires… parmi lesquels on retrouve l’État français. En 2019, ce dernier avait perçu  2,4 milliards d’euros. Cette année, le pactole devait dépasser 2 ,7 milliards d’euros. Autant d’argent qu’il lui faudra trouver ailleurs.

L’annonce du ministre de l’Économie et des Finances n’a pas eu d’effet significatif sur les cours. Après tout, même si les actions des entreprises concernées ont perdu en attractivité, leur cours a profité de la promesse d’amélioration de leur trésorerie (puisque le versement est annulé). En conséquence, ce peut être une opération quasi-blanche pour les actionnaires. Ils ne reçoivent pas de dividendes, mais en contrepartie, les parts des entreprises qu’ils détiennent se sont appréciées toutes choses égales par ailleurs. En cas de revente, ils réaliseront donc une plus-value supérieure à celle qu’ils auraient pu encaisser si les dividendes avaient été payés.

Un effet politique indéniable

Néanmoins, au plan politique, l’effet n’est pas neutre. En considérant les dividendes comme une variable d’ajustement, l’appel du ministre aura en effet sans doute contribué à conforter la défiance des Français à l’égard du monde de la bourse et des investisseurs. Il semble en effet corroborer la vision d’une certaine partie de la population, selon laquelle les dividendes ne sont qu’un cadeau offert à des spéculateurs déjà gâtés, au détriment des salariés. 

C’est sans doute oublier que nombre d’actionnaires sont des petits porteurs dont la prise de risque s’est soldée par de lourdes pertes financières après la chute récente de près de 40 % des cours liée à la crise du coronavirus. Cette année, les versements de dividendes offraient aux entreprises une opportunité unique de soutenir ces actionnaires sonnés.

On peut aussi citer le cas des dirigeants de petites entreprises qui ont choisi de se rémunérer essentiellement sur les dividendes de leur société. Devront-ils renoncer à leur rétribution s’ils ont bénéficié d’une aide au recrutement de salariés ?

Enfin, la décision du gouvernement risque aussi de renforcer l’attractivité des entreprises étrangères, au détriment de nos fleurons nationaux.


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